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Avocat Ducharlet

Barème Macron … sur les sentiers de la perdition ?

10 avril 2021

Posté dans Contentieux, Droit du travail

Au commencement, 

 

Existait un Code du travail contenant un article L.1235-3 dans lequel il était prescrit que si le licenciement d'un salarié survenait pour une cause qui n'était pas réelle et sérieuse, le juge pouvait proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis et si l'une ou l'autre des parties refusait, le juge octroyait une indemnité au salarié. 


Cette indemnité, à la charge de l'employeur, bien évidemment, ne pouvait pas être inférieure aux salaires des six derniers mois.

 

Ces sanctions d’antan étaient réservées aux salariés comptant 2 ans ou plus d’ancienneté au sein de l’entreprise au moment de leur congédiement. 

 

Pour ceux recrutés moins de 2 ans avant leur licenciement, l’article L.1235-5 prévoyait une indemnité correspondant au préjudice subi.

 

A retenir donc, tout salarié ayant 2 ans ou plus d’ancienneté licencié pour une cause jugée non réelle et sérieuse par les tribunaux, avait droit à minima, à une indemnité égale à 6 mois de salaires. 

 

Il était usuel que cette indemnité soit substantiellement majorée par les juridictions de droit social (conseil de prud’hommes et chambre sociale de la cour d’appel) en fonction de l’ancienneté du salarié et des justificatifs de son préjudice (sa situation professionnelle postérieure à la rupture de son contrat, charges familiales, charges financières...) et suivant une règle non écrite d’un mois de salaire par année d’ancienneté, régulièrement majorée.

 

Il était un constat partagé par beaucoup que de tels préceptes offraient trop de grandes incertitudes sur le coût financier d’un contentieux prud’homal pour l’employeur. 


Ensuite,

 

Préoccupé ouvertement par ce sujet et candidat heureux à l’élection nationale de 2017, le Président de la République Emmanuel MACRON n’a pas tardé à prendre des mesures, a procédé à une refonte des articles précités et à instituer un barème d’indemnisation, avec un minimum et un maximum et calé sur l’ancienneté du salarié.

 

Est ainsi, arrivée sur scène du droit du travail et de son contentieux, l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail et son article 2 qui a engendré le nouvel article L.1235-3 du Code du travail :

 

« Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. 

 

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous. 

Ancienneté du salarié dans l’entreprise (années complètes) :

0 : de 0 à 1 mois de salaire brut

1 : de 1 à 2 mois de salaire brut

2 : de 3 à 3,5 mois de salaire brut

3 : de 3 à 4 mois de salaire brut

4 : de 3 à 5 mois de salaire brut

5 : de 3 à 6 mois de salaire brut ….

 

En cas de licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les montants minimaux fixés ci-dessous sont applicables, par dérogation à ceux fixés à l'alinéa précédent : 

0 : sans objet

1 : minimum de 0,5 mois de salaire brut

2 : minimum de 0,5 mois de salaire brut

3 : minimum 1 mois de salaire brut

4 : minimum de 1 mois de salaire brut

5 : minimum de 1,5 mois de salaire brut… (…)»

 

De par cette ordonnance, les salariés licenciés après le mois de septembre 2017 agissant aux prud’hommes ont vu réfréner leurs ardeurs et leurs prétentions financières espérées strictement encadrées.

 

Aujourd’hui,

 

Ce barème souffre, se voit ignorer par les juges prud’homaux lors du chiffrage de l’indemnisation du salarié et/ou critiquer dans de nombreuses décisions judiciaires …

 

Depuis 2018, du conseil de prud’hommes de Paris à Bayonne, en passant par celui d’Amiens, Grenoble, Bordeaux, Créteil, Reims, Caen, Le Havre, Martigues… les décisions refusant le dictat du barème Macron se sont multipliées.

 

Sur l’autel de ce cuisant traitement, trône principalement la question de sa conformité avec l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation international du travail et celle avec l’article 24 de la Charte sociale européenne qui prescrivent une indemnisation appropriée du salarié dont le licenciement est jugé injustifié.

 

Au son des premières décisions rendues à l’encontre du barème Macron, la Cour de cassation est venue rendre en juillet 2019, deux avis favorables au barème décrié, censés fortifier le nouvel article L.1235-3 du Code du travail, précédé par le Conseil d’État (CE 07 décembre 2017).

 

En vain, 

 

La compagne offensive menée dans les murs de très nombreux conseils de prud’hommes contre le barème ne s’est point ralentie.


Bien au contraire, cette déferlante hostile est désormais, soutenue dans des enceintes de cours d’appel comme celle de Versailles (Arrêt du 26 novembre 2020 n°19/03800 : « au vu de la situation du salarié, le montant de cette indemnité correspond à la réalité du préjudice subi, sans que l’application du plafonnement légal ait pour effet d’en réduire le montant »), celles de Grenoble, de Reims, de Bourges (Arrêt du 06 novembre 2020 n°19/00585) et depuis peu, celle de Paris (Arrêt du 16 mars 2021 n°19/08721).


Par un arrêt rendu en date du 16 mars 2021, la chambre sociale de la Cour d’appel parisienne a en effet, écarté l’application du barème considérant que l’indemnisation offerte au salarié par ledit barème était insuffisante à lui assurer une indemnisation adéquate et appropriée compte tenu de sa situation concrète et particulière à savoir son âge, son ancienneté, sa capacité à retrouver un nouvel emploi….

 

Le barème offrait entre 3 et 4 mois de salaire, la salariée concernée par cette décision a obtenu 7 mois de salaire auprès de la Cour qui a notamment retenu que cette somme proposée par le barème représentait à peine la moitié du préjudice subi en termes de diminution des ressources financières depuis son licenciement.

 

Le crépuscule ?

 

Il est une citation de Raymond Reddington selon laquelle « à court terme, la justice perd toujours face à la politique ».

 

Manifestement, le rapport de force semble inversé sur le sujet de l’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse.

 

Le barème Macron connaît des temps bien difficiles et les garanties qu’il était censé offrir aux employeurs se voient sacrément ébranlées.

 

Nul ne sait si ses heures sont comptées en raison de ces juridictions contestataires et à l’approche d’une élection présidentielle au sort plus qu’incertain…

 

Partant et par souci de se tenir le plus éloigné possible des aléas judiciaires, l’employeur se doit de faire preuve d’une grande prudence lors de la mise en œuvre d’une procédure de licenciement.

 

Il lui est vivement conseillé de se rappeler qu’en cas de litige sur le caractère réel et sérieux du ou des motif(s) de licenciement, si un doute subsiste, il profite au salarié.


Enfin, considérant la méfiance et l’exigence des tribunaux à l’égard de l’employeur, il faut s’assurer de disposer d’éléments de preuve corroborant la réalité (et la gravité le cas échéant) du ou des motifs de licenciement retenu(s), sans quoi le risque de condamnation sera élevé devant les tribunaux et l’impact financier possiblement calculé au-delà du barème querellé.